J’ai vu, lors d’un échange avec des chercheurs et des ingénieurs, l’inquiétude grandir autour d’un pari technique qui a dominé la décennie : amplifier sans cesse la taille des modèles et des centres de calcul. Sara Hooker, ancienne responsable de la recherche IA chez Cohere, a choisi d’en faire le point de départ d’un nouveau projet qui remet en cause cette logique d’« encore plus ». Son pari : l’IA qui s’adapte en continu pourrait être plus efficace et plus démocratique que la course à l’échelle.
Pourquoi la course à l’échelle des modèles soulève des doutes
J’ai entendu des responsables d’infrastructures expliquer que certains labos bâtissent des centres de données « de la taille d’un arrondissement », qui coûtent des milliards et consomment l’électricité d’une petite ville. Cette stratégie, portée par des acteurs comme OpenAI, Google DeepMind, Anthropic ou Meta AI, repose sur la conviction que plus de calcul finit par débloquer des formes d’intelligence générale.
Mais des voix scientifiques et des rapports récents, dont une étude du MIT, montrent des rendements décroissants pour les très grands modèles pré-entraînés. Le débat touche aussi l’écosystème matériel : Nvidia, Amazon Web Services (AWS) et les grands fournisseurs cloud voient leur rôle scruté, alors que des alternatives logicielles et des modèles compacts émergent via Hugging Face ou Stability AI.
Insight : la balance entre puissance brute et efficacité d’apprentissage est désormais au cœur des décisions stratégiques des laboratoires.
La genèse d’Adaption Labs et le positionnement de Sara Hooker
J’ai rencontré, dans une conversation imaginaire avec un jeune ingénieur de San Francisco — appelons-le Lucas — la frustration de ceux qui doivent adapter des modèles coûteux pour des clients. C’est pour répondre à ce problème que Sara Hooker, ex-Cohere et ancienne de Google Brain, a fondé Adaption Labs avec Sudip Roy.
Selon un entretien cité par TechCrunch, Hooker défend une IA capable d’« apprendre de son expérience en production » et non plus seulement d’être réglée hors contexte. Elle refuse pour l’heure de dévoiler les méthodes précises, mais dit viser une adaptation extrêmement efficiente, là où les méthodes actuelles de reinforcement learning (RL) et de fine-tuning restent lourdes et chères.
Insight : Adaption Labs mise sur l’apprentissage continu pour réduire le coût d’adaptation des modèles et redistribuer qui contrôle l’IA.
Limites techniques et signes d’un tournant dans la recherche IA
J’ai entendu des chercheurs, dont des lauréats prestigieux, rappeler que les modèles de langage larges ne « vivent » pas et n’apprennent pas de leurs erreurs dans le monde réel. Richard Sutton l’a formulé lors d’un podcast, et des discussions récentes avec des chercheurs historiques comme Andrej Karpathy ont renforcé la prise de distance.
Parallèlement, les laboratoires n’ont pas attendu pour chercher d’autres leviers : en 2025, les modèles de raisonnement ont démontré qu’un temps de calcul supplémentaire consacré à la réflexion peut améliorer les réponses. Mais pousser le RL ou ces approches à grande échelle reste coûteux — un exemple cité est une étude de Meta/Periodic Labs dont le budget aurait dépassé les 4 millions de dollars.
Insight : la recherche se divise entre qui croit encore à l’échelle brute et qui parie sur des sauts architecturaux et méthodologiques.
Ce que signifierait une IA qui apprend en production
J’ai vu Lucas imaginer une plateforme d’IA qui, comme un apprenti, s’améliore en travaillant avec les utilisateurs au quotidien. Si l’apprentissage en continu devient fiable, cela remettrait en question les modèles commerciaux actuels où quelques laboratoires-frontières dictent des versions standardisées pour tous.
Les implications sont multiples : moins de dépendance aux gigantesques data centers, réduction des coûts de fine-tuning (alors que certains services de personnalisation exigent des budgets de l’ordre de millions), et une démocratisation potentielle de l’IA au bénéfice d’entreprises plus petites. Cette vision rejoint les débats sur le financement et l’accès aux technologies, que l’on retrouve dans des dossiers sur les défis de financement des startups non-AI.
Insight : si l’apprentissage adaptatif se prouve efficace, il pourrait rebattre les cartes entre géants cloud, startups et utilisateurs finaux.
Enjeux industriels et géopolitiques pour les acteurs majeurs
J’ai entendu des responsables de produits chez Microsoft Research et des discussions internes chez Cohere évoquer des modèles plus compacts et adaptés aux usages métiers. L’émergence d’acteurs européens comme Mistral et la mobilisation de capitaux dans la recherche montrent que le paysage évolue — voir les levées et valorisations qui redessinent les alliances industrielles.
Sur l’infrastructure, des articles ont déjà décrit comment Google ajuste la cadence de ses centres de données lorsque la consommation monte, illustrant le lien direct entre recherche IA et pression énergétique. Le basculement vers une IA plus efficiente pourrait redistribuer la valeur entre compute providers comme AWS et fabricants de puces comme Nvidia, tout en favorisant l’émergence d’écosystèmes locaux et de plateformes ouvertes via Hugging Face.
Pour les investisseurs, le calcul change aussi : plutôt que de financer uniquement des fermes de serveurs, certains parient maintenant sur des équipes qui cherchent l’efficience algorithmique et l’adaptabilité. Ce contexte fait écho aux débats sur les défis de financement pour des entreprises moins centrées sur l’IA grand public.
Insight : la bascule vers l’efficience changerait les relations de force entre cloud, matériel et recherche logicielle.
Pour lire un panorama qui éclaire le rapport entre financement et stratégie technologique, voyez cet article sur les défis de financement, ou ce dossier sur la levée de fonds portée par des chercheurs d’OpenAI et de Google DeepMind pour automatiser la science : levée de 300 millions.
Pour suivre les tensions entre consommation électrique et intensification des entraînements, cet article détaille comment Google ajuste ses opérations : l’impact énergétique.
Enfin, pour replacer ces débats dans un écosystème plus large, consultez le compte-rendu du déplacement québécois à VivaTech 2025 qui montre la diversité des stratégies : Québec Tech à VivaTech 2025, et un reportage sur les ambitions de Mistral : valorisation de Mistral.
Insight : l’avenir de l’IA ne se joue plus seulement en téraflops, mais dans la capacité à transformer l’expérience en apprentissage utile et économique.