J’ai vu Claire, fondatrice d’une PME française d’équipements sportifs, serrer la main d’un investisseur et repartir avec deux mots : « pas AI ». Cette phrase a résonné toute la journée dans un écosystème où les capitaux se sont massivement repliés vers l’intelligence artificielle. Le paysage du financement s’est transformé : d’un côté quelques mastodontes qui attirent des milliards, de l’autre des entreprises « non-AI » qui peinent à convaincre malgré des modèles solides.
Comment l’IA a accaparé les flux de capital-risque
Les chiffres récents de PitchBook montrent une bascule nette : l’IA est en passe de capter plus de la moitié des investissements VC cette année. Sur un total global d’environ 366,8 milliards de dollars investis, 192,7 milliards ont été dirigés vers des projets liés à l’IA. Dans le dernier trimestre, la part de l’IA représentait 62,7 % des montants investis par les VC américains et 53,2 % à l’échelle mondiale.
Ce mouvement concentre les tickets sur quelques noms phares : des levées gigantesques comme les 13 milliards de dollars annoncés par Anthropic en septembre cristallisent l’attention et les ressources. Kyle Sanford, directeur de la recherche chez PitchBook, parle d’un marché « bifurqué » : on est soit dans l’IA, soit en dehors, et l’écart entre « gros » et « petit » se creuse.
Cette concentration rappelle certaines dynamiques observées dans la tech à l’international, comme l’impact des clients majeurs sur les revenus des géants du hardware (lire sur Nvidia). Insight : les flux financiers suivent la promesse de rupture technologique.
Ce que cela signifie pour une PME non-AI
J’ai entendu Claire raconter la difficulté à décrocher un second rendez-vous. Les fonds sont plus sélectifs et souvent orientés vers des opportunités perçues comme « scalables » et liées aux algorithmes. Le nombre de fonds créés a fondu : 823 fonds levés en 2025 contre 4 430 en 2022, ce qui réduit le nombre d’acteurs prêts à prendre des paris sur des niches ou du hardware industriel.
Sur le terrain français, des acteurs publics et privés continuent de jouer les plate-formes de relais pour les projets non-AI. Des organismes comme Bpifrance, des réseaux comme France Invest, ou des plateformes de financement alternatif telles que Sowefund offrent des solutions complémentaires aux levées classiques. De même, des fonds et business angels nationaux — Kima Ventures, Partech, IDinvest Partners — restent des interlocuteurs, tout comme des partenaires institutionnels et bancaires : Le Groupe La Poste, Crédit Agricole Innovation et Territoires, Banque Populaire et des incubateurs régionaux tels qu’EuraTechnologies.
Exemple concret : une PME de l’industrie durable qui a noué un partenariat local a bénéficié d’un prêt structuré grâce au soutien d’un réseau territorial et d’un dispositif public, contournant ainsi le filtre strict des VC. Insight : le financement alternatif et les partenariats territoriaux deviennent des leviers clés.
Stratégies pour séduire des financeurs hors IA
J’ai rencontré un directeur d’incubateur qui m’a expliqué comment les projets non-AI doivent repenser leur récit. Il ne suffit plus d’exposer un marché : il faut montrer des trajectoires de monétisation rapide, des preuves de traction et des avantages compétitifs difficiles à répliquer par des modèles purement logiciels.
Pour une PME, trois pistes concrètes émergent : structurer des preuves de revenu récurrent, capitaliser sur des partenariats industriels et utiliser des outils de financement complementaires (subventions, dettes subordonnées, crowdfunding). Des initiatives locales ont permis d’aligner ces solutions, comme on le voit dans des dossiers sur les écosystèmes régionaux (retour sur Québec Tech à VivaTech) ou sur des modèles d’innovation basés sur les territoires (cas breton d’énergie marine).
Sur le plan pratique, des plateformes comme Sowefund ou des fonds à vocation régionale aident à créer des ponts. Insight : la diversification des sources de capitaux réduit la dépendance aux cycles VC.
Politiques publiques, banques et le rôle des grands acteurs
J’ai rencontré un chargé d’affaires d’une banque régionale qui m’a expliqué comment les institutions financières construisent des instruments pour soutenir l’innovation non-AI. Les banques coopératives et les caisses locales ajustent leurs offres via des garanties ou des avances retrouvant des logiques de territoire.
Les acteurs historiques et les grands groupes peuvent aussi jouer les amortisseurs : des partenariats industriels ou des commandes publiques redonnent du souffle. Pour approfondir les dynamiques entre acteurs publics et privés, plusieurs dossiers analysent les arbitrages politiques et énergétiques qui structurent ces choix (consultation sur la politique énergétique) et la manière dont des initiatives locales se montent (financement participatif pour un moulin).
Insight : les collaborations publiques-privées et les réseaux bancaires régionaux sont des leviers concrets pour compenser l’effet de concentration des VC.
Regarder au-delà du cycle VC : narratifs et opportunités
J’ai vu Claire restructurer son pitch pour mettre en avant l’impact local, la solidité des marges et une feuille de route vers l’export. Ce repositionnement a attiré l’attention d’un partenaire industriel et d’un réseau d’investisseurs privés prêts à cofinancer une montée en gamme.
Pour les dirigeants non-AI, l’enjeu est de rendre visibles des métriques que l’écosystème valorise aujourd’hui : croissance des revenus, retours clients, efficacité opérationnelle. Des articles récents montrent que les levées massives dans l’IA n’ont pas effacé toutes les niches d’investissement ; elles les ont plutôt mutées. Par exemple, des levées audacieuses ou des collaborations entre chercheurs et entrepreneurs continuent d’apparaitre dans des secteurs connexes (levée de chercheurs pour automatiser la science), tandis que d’autres récits montrent la diversité des trajectoires entrepreneuriales (étude sur la rentabilité des gîtes).
Insight final de cette section : réécrire son récit, diversifier ses sources et s’appuyer sur des alliances locales sont les meilleures réponses face à la frénésie IA.