Le CBD : allié ou danger pour notre bien-être ?

Le marché des produits à base de cannabidiol, communément appelé CBD, connaît depuis quelques années une croissance fulgurante. Les raisons de cet engouement ? Les supposées propriétés relaxantes et apaisantes de cette molécule issue du chanvre, sans effet stupéfiant ni risque d’addiction contrairement au cannabis. L’offre s’est ainsi considérablement diversifiée, avec des huiles sublinguales, des infusions, des cosmétiques ou même des aliments et boissons dopés au CBD vendus librement dans les magasins bio et sur Internet.

Pourtant, de nombreuses zones d’ombre entourent ce cannabinoïde, tant sur le plan légal que scientifique. Quels sont ses réels bénéfices pour la santé ? Recèle-t-il des dangers insoupçonnés ? Son statut se clarifie-t-il enfin après des années de flou juridique ? Autant de questions auxquelles nous tenterons d’apporter un éclairage objectif et documenté dans cet article.

Alors, le CBD est-il le nouvel eldorado du bien-être et de la détente ? Ou au contraire, faut-il s’en méfier comme la peste ? La réalité semble se situer quelque part entre ces deux extremes…

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Le cannabidiol suscite un véritable engouement

Qu’est-ce que le cannabidiol ?

Le cannabidiol (CBD) est avec le tétrahydrocannabinol (THC), l’un des principaux cannabinoïdes présents dans la plante de cannabis (Cannabis sativa). Contrairement au THC, responsable des effets psychotropes du cannabis, le CBD n’a pas d’affinité significative avec les récepteurs cannabinoïdes CB1 situés dans le cerveau. Il ne possède donc pas de propriétés stupéfiantes ou addictives. De plus, de nombreuses études chez l’animal et chez l’homme indiquent que le CBD pourrait contrer certains effets indésirables du THC tels que l’anxiété, les troubles de la mémoire ou encore la tachycardie.

Le statut légal du CBD varie considérablement d’un pays européen à l’autre. En France, la situation réglementaire entourant le CBD apparaît particulièrement confuse. Le CBD à usage médical sous la forme du médicament Epidyolex reste très restrictif puisqu’il n’est accessible que dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation. Quant au CBD en vente libre, il reste toléré à condition que les produits respectent certaines limites de composition. Ainsi, les teneurs en THC ne doivent pas excéder 0,3%. Jusqu’à récemment, les fleurs et feuilles brutes de cannabis contenant du CBD et dépourvues de THC étaient commercialisées et consommées légalement en décoction ou pour être fumées. Cependant, à la surprise générale, un arrêté ministériel publié fin décembre 2021 est venu interdire la vente au consommateur de ces fleurs de CBD. Devant le tollé provoqué par cette mesure jugée arbitraire, le Conseil d’État est intervenu en rétablissant quelques semaines plus tard leur commercialisation, arguant de l’absence de dangerosité avérée du produit. Cet imbroglio juridique témoigne de la difficulté des pouvoirs publics à appréhender et réguler ce nouveau marché en plein essor.

Explosion du marché des produits à base de CBD

On observe en effet depuis quelques années une prolifération des produits à base de CBD un peu partout dans le monde, et notamment en Europe et en Amérique du Nord. Au-delà des fleurs de chanvre dépourvues de THC, l’offre n’a cessé de s’étoffer pour inclure une large variété de présentations : huiles et cristaux de CBD, e-liquides pour cigarette électronique, capsules, suppositoires, patches transdermiques, cosmétiques, compléments alimentaires, boissons énergisantes, thés et cafés infusés au CBD… La France comptait début 2022 près de 400 boutiques spécialisées dans la distribution de ces produits. Le marché mondial du CBD devrait ainsi peser près de 47 milliards de dollars à l’horizon 2028, porté notamment par les espoirs thérapeutiques placés dans cette molécule.

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Les consommateurs de CBD

Prévalence de consommation en France

Une récente enquête menée fin 2021 auprès d’un échantillon représentatif de la population française évalue à 10% la proportion d’adultes déclarant avoir déjà consommé du CBD sous une forme ou sous une autre. Ils se rendent généralement sur le web afin d’acheter le meilleur du CBD sur les sites les plus fiables. Parmi eux, un sur deux en fait une utilisation quotidienne. Ce chiffre, supérieur aux quelques pourcents rapportés par une étude similaire en Allemagne, reflète l’engouement croissant du public hexagonal pour les produits à base de chanvre. De manière prévisible, les jeunes générations sont surreprésentées parmi les usagers. Mais de façon plus surprenante, près d’un tiers des Français adultes avouent n’avoir jamais entendu parler du CBD. Ce paradoxe illustre la difficulté à appréhender un phénomène aussi récent, qui suscite à la fois curiosité et méfiance au sein de la population.

Des consommateurs aux profils variés

L’analyse statistique des caractéristiques des répondants à l’enquête consommant du CBD fait ressortir quatre profils-types d’usagers. Le premier groupe se compose de personnes plutôt âgées, résidant en milieu rural, ne consommant ni tabac ni cannabis, présentant une maladie chronique et sans opinion tranchée sur les médecines alternatives. Le second profil correspond à des hommes cumulant des difficultés financières et une consommation régulière d’alcool, tout en rejetant la supériorité revendiquée des médecines douces.

Le troisième groupe rassemble des femmes éduquées, financièrement aisées, en bonne santé apparente et mères de famille, adhérant aux vertus des approches thérapeutiques non conventionnelles. Enfin, le quatrième profil type est celui de jeunes hommes, souvent fumeurs de tabac et consommateurs de cannabis, séduits eux aussi par les médecines parallèles. On constate donc une certaine diversité de profils sociodémographiques et comportementaux parmi les adeptes du CBD. Mais dans leur ensemble, ces derniers se distinguent de la population générale par leur âge moins avancé et leur propension plus marquée à user de substances psychoactives légales ou prohibées.

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Les Motivations

Motivations des consommateurs de produits à base de CBD

Parmi les principales raisons invoquées par les usagers français pour expliquer leur attrait pour les produits à base de CBD, l’amélioration globale de la qualité de vie et du bien-être arrive largement en tête. Viennent ensuite les motifs de soulagement de douleurs chroniques, d’anxiété, de troubles du sommeil ou encore de diminution de la consommation de cannabis, pour celles et ceux qui en sont consommateurs par ailleurs. Le CBD semble donc perçu avant tout comme une solution thérapeutique face à certains maux du corps et de l’esprit, plutôt que comme un accompagnement du bien-être au quotidien. Son statut de produit naturel en fait néanmoins un candidat prisé dans une optique de prévention santé. En effet, de nombreux sites internet vantent ses mérites pour rester en forme, mieux résister au stress et au vieillissement. Mais qu’en est-il des preuves scientifiques concernant son efficacité réelle dans toutes ces indications ?

Un intérêt thérapeutique démontré dans certains types d’épilepsie infantile

Des essais cliniques rigoureux ont pu mettre en évidence un effet bénéfique du CBD dans quelques situations médicales bien précises. C’est le cas en particulier de certaines formes sévères d’épilepsie résistantes aux traitements habituels, comme les syndromes de Dravet et de Lennox-Gastaut, affectant principalement de très jeunes enfants. Face aux résultats spectaculaires obtenus en termes de réduction de la fréquence et de la sévérité des crises, les autorités sanitaires ont approuvé en 2018 la mise sur le marché aux États-Unis puis en Europe de l’Epidyolex, premier médicament à base de CBD. Cependant, celui-ci n’est accessible en France que pour un usage compassionnel, après autorisation spéciale délivrée au cas par cas par l’ANSM. De façon plus anecdotique, quelques études suggèrent un effet bénéfique du CBD pour atténuer certains effets secondaires pénibles de chimiothérapies anticancéreuses. Mais là encore, les preuves demeurent très limitées à ce jour.

Un intérêt thérapeutique potentiel mais des preuves encore insuffisantes

Concernant les autres motifs de consommation rapportés par les usagers de CBD, force est de constater le manque criant de données scientifiques solides issues d’essais cliniques contrôlés chez l’homme pour confirmer un réel bénéfice. Certes, de nombreuses études observationnelles et expérimentales chez l’animal épaulent l’intérêt potentiel du CBD dans diverses affections, notamment neuropsychiatriques. Ainsi, des propriétés anxiolytiques, antidépressives, neuroprotectrices voire antipsychotiques lui sont prêtées, qui méritent d’être explorées plus avant. Dans le domaine de la douleur chronique, disciplines des études préliminaires encouragent également la poursuite des recherches. Enfin, son action antitumorale supposée ainsi que ses effets sur le métabolisme énergétique et lipidique ouvrent d’autres perspectives thérapeutiques passionnantes, encore embryonnaires.

Mais avant de promouvoir l’usage du CBD dans toutes ces indications, la prudence doit rester de mise dans l’attente de résultats d’essais à grande échelle versus placebo, menés avec méthodologie chez des patients ciblés. Ce niveau de preuve fait encore défaut à l’heure actuelle pour pouvoir tirer des conclusions définitives quant à l’efficacité réelle du CBD sur la plupart des symptômes invoqués par les consommateurs.

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Sa perception et son efficacité sur le bien-être

Des risques probablement surestimés mais une innocuité à confirmer

Le CBD jouit d’une réputation favorable quant à son innocuité. Pourtant, certains effets indésirables sont rapportés dans la littérature médicale, généralement bénins. Il s’agit le plus souvent de diarrhées, fatigue, variations de l’appétit ou baisse de la tension artérielle. Plus rarement, des atteintes du foie dont l’imputabilité au CBD est discutée ont été décrites. Mais dans leur grande majorité, ces manifestations concernent des patients suivant un traitement lourd à base de CBD à visée thérapeutique. Elles ne semblent pas s’appliquer aux dosages généralement présents dans les produits en vente libre. Qui plus est, une récente méta-analyse basée sur les données agrégées de nombreux essais cliniques rassure quant à l’excellent profil de tolérance du CBD aux posologies usuelles. Ainsi, le risque d’effets indésirables sérieux ne semble pas supérieur sous CBD par rapport à un placebo.

Ces données encourageantes ne doivent cependant pas occulter certains motifs légitimes d’inquiétude, au premier rang desquels la qualité parfois hasardeuse des produits à base de CBD commercialisés. Faute de réglementation contraignante, rien ne garantit leur composition exacte en cannabinoïdes, et certains articles font état de taux non négligeables de THC au-delà des normes en vigueur. Par ailleurs, des contaminations par des substances psychoactives de synthèse ont également été rapportées. De même, le CBD est susceptible d’interagir avec de nombreux médicaments aussi bien à visée psychiatrique que cardiovasculaire ou anti-infectieuse. Ces interactions pharmacologiques justifient une surveillance médicale rapprochée en cas de traitements concomitants. Enfin, chez la femme enceinte, l’innocuité d’une exposition au CBD pendant la grossesse sur le développement du fœtus n’a pas encore été fermement établie, ce qui doit inciter à la prudence.

Au total, les risques avérés associés à un usage récréatif de doses modérées de CBD apparaissent limités aux yeux des scientifiques. Pour autant, une confirmation de son profil de sécurité satisfaisant necessity des études complémentaires à large échelle et sur le long terme. Surtout, le manque de fiabilité de certains produits commercialisés impose une certaine vigilance vis-à-vis de cette molécule aux propriétés encore mal connues.

Une perception globalement favorable par le grand public

L’opinion des Français vis-à-vis de la dangerosité perçue du CBD a également été explorée au cours de l’enquête populationnelle. Sans surprise, parmi les personnes familées avec le CBD, une confortable majorité (57%) le considère comme inoffensif ou peu nocif pour la santé. A contrario, moins d’un répondant sur cinq lui attribue une toxicité significative. Cet a priori globalement favorable contraste singulièrement avec la piètre réputation d’autres psychotropes récréatifs tels que la cocaïne ou même le cannabis. Cette perception bénigne reflète probablement son origine naturelle ainsi que l’absence d’effet psychoactif patent, à l’inverse du THC. De fait, la frontière peut sembler parfois ténue entre le CBD et certains compléments alimentaires ou phytothérapies censés améliorer le bien-être, dont le statut légal et l’innocuité ne soulèvent guère de questions dans l’esprit du grand public.

Cependant, des nuances apparaissent selon le profil du répondant. Ainsi, les consommateurs réguliers d’alcool ou de cannabis – substances socialement acceptées ou tolérées – expriment plus volontiers une opinion tranchée, positive ou négative, sur la nocivité supposée du CBD. A l’inverse, les non-consommateurs de produits psychoactifs admettent plus souvent leur incapacité à se prononcer sur le sujet. Par ailleurs, en cohérence avec les motivations de leur usage, les utilisateurs de CBD sont logiquement plus enclins que les non-utilisateurs à juger cette molécule inoffensive pour l’organisme.

Au total, le grand public semble accorder spontanément au CBD des vertus bienfaisantes, tout en méconnaissant largement ses éventuels effets délétères. Cet engouement qui confine parfois à la naïveté contraste avec les incertitudes qui entourent encore cette molécule. Il met en lumière le besoin crucial d’une information fiable et accessible sur ce que la science sait réellement du CBD à l’heure actuelle.

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Un cadre à revoir ?

Un cadre législatif européen à clarifier d’urgence

Entre utilisation récréative, en automédication et à visée thérapeutique, l’usage du CBD ne cesse de progresser chez les Français, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes. Or ce marché échappe largement à tout contrôle de la part des autorités sanitaires. Dès lors, comment garantir aux consommateurs des produits de qualité pharmaceutique, correctement dosés en CBD et dénués de substances indésirables ? Comment leur assurer une information fiable sur ce cannabinoïde, son usage approprié et ses limites ? En France comme dans d’autres pays européens, la réglementation actuelle ne répond que partiellement à ces enjeux de santé publique.

Pourtant, les risques sanitaires liés à la consommation de produits non conformes ou falsifiés ne sont pas négligeables.

Des cas d’intoxication par des dérivés synthétiques du cannabis ajoutés frauduleusement dans des e-liquides au CBD ont déjà été rapportés. Par ailleurs, la présence de THC à des concentrations parfois élevées dans certains articles constitue un danger, surtout chez les femmes enceintes et les conducteurs de véhicules.

Sans rentrer dans une logique purement répressive et prohibitionniste, un meilleur encadrement législatif du marché du CBD présenterait de multiples avantages. Il s’agirait en premier lieu de garantir aux consommateurs des produits sûrs et de composition clairement établie. Parallèlement, une information précise sur les risques liés à certains usages et sur les interactions médicamenteuses potentielles paraît indispensable. Enfin, seule une politique volontariste de soutien à la recherche clinique permettra de déterminer si le CBD peut représenter une alternative thérapeutique crédible dans certaines pathologies, et à quelles conditions.

Vers une incorporation du CBD dans une politique de réduction des risques liés au cannabis ?

En France, environ un million de personnes sont des usagers réguliers de cannabis. Or la consommation au long cours de cette plante, surtout chez les adolescents et les jeunes adultes, n’est pas sans danger sur le plan cognitif et psychiatrique. Face à ce constat, de nouvelles approches basées sur la réduction des risques liés au cannabis émergent. L’idée est ici de promouvoir un usage dit « responsable » en informant mieux les consommateurs et en les orientant vers des variétés de cannabis et des modalités de consommation moins nocives.

Dans ce contexte, le CBD pourrait trouver sa place comme outil de modulation des effets délétères du THC. Des études suggèrent même qu’il puisse aider certains gros consommateurs de cannabis à réduire leur usage problématique et le craving associé. Reste désormais à confirmer cette hypothèse prometteuse au moyen d’essais cliniques rigoureux. Si tel était le cas, l’intégration de variétés de cannabis réglementées riches en CBD dans les dispositifs de réduction des risques constituerait une avancée supplémentaire vers une politique des addictions fondée sur le pragmatisme plus que sur la morale.

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