J’ai rencontré un chasseur membre de la Société de Chasse de Sarlat au bord d’un champ labouré : son visage trahit la lassitude. Dans les campagnes périgourdines, la multiplication des sangliers pèse désormais sur les agriculteurs, les bénévoles et les finances des associations locales. La Fédération des Chasseurs de Dordogne et les structures partenaires multiplient les réponses techniques, mais la pression reste forte sur les équipes de terrain.
Montée des populations de sangliers en Dordogne : un constat chiffré 2010–2024
Le panorama est net : moins de chasseurs, plus de sangliers. En 2010, la fédération départementale recensait 25 000 adhérents et 7 976 sangliers prélevés. En 2024, les effectifs de chasseurs sont tombés à 15 500 (-38%) tandis que le prélèvement a grimpé à 23 159 sangliers, soit une hausse de 188%.
Les dégâts agricoles suivent la même trajectoire : les surfaces touchées sont passées de 549 hectares détruits en 2010 à 1 176 hectares aujourd’hui (+114%). Les céréales et oléo‑protéineux sont particulièrement affectés, de 172 hectares à 638 hectares (+271%). La facture d’indemnisation payée par les chasseurs est passée de 143 000 euros en 2010 à 553 000 euros en 2024 (+287%).
Ces chiffres expliquent pourquoi la Chasse Périgord, la Chasseurs Réunis 24 et la Fédération des Chasseurs de Dordogne sont au centre des discussions locales sur la régulation. L’ampleur du phénomène oblige à repenser l’organisation de la chasse départementale.
Origines de la prolifération et impacts locaux
Le sanglier a su tirer profit des transformations du territoire et du climat. Sa capacité d’adaptation aux milieux anthropisés multiplie les zones refuge et concentre les dégâts autour des lisières et des parcelles proches des bois. Les exploitants constatent des pertes récurrentes, ce qui fragilise des exploitations déjà tendues.
Sur le plan administratif, l’espèce est classée ESOD en Dordogne, ce qui ouvre la voie au piégeage en complément des actions de chasse. Cette évolution transforme les pratiques locales et alourdit la charge logistique pour les structures comme l’Association de Gestion Cynégétique Dordogne.
Protections des cultures et actions sur l’habitat : la boîte à outils périgourdine
J’ai entendu les techniciens détailler une stratégie en deux volets : réduire l’attractivité des parcelles et protéger physiquement les cultures. La Fédération des Chasseurs de Dordogne cartographie les « points noirs », puis installe des clôtures électriques. Entre 3 000 et 4 000 hectares sont clôturés chaque année, avec des aides fédérales couvrant jusqu’à 70% du coût.
Des essais de répulsifs, d’enrobage de semences au goût piquant et l’emploi d’engrais organiques à effet répulsif sont testés pour éloigner les suidés sans les empoisonner. Le girobroyage pour rouvrir des milieux envahis est aussi mis en œuvre par des bénévoles des sociétés locales, dont des équipes de la Société de Chasse de Sarlat.
Ces mesures demandent du temps et des moyens humains. La fédération insiste sur la prévention comme moyen d’optimiser les dépenses publiques et associatives.
Voir un reportage local sur la protection des cultures
Organisation de la chasse : battues, plans de chasse et suivi technique
Sur le terrain, la battue demeure l’outil central : elle assure l’essentiel des prélèvements. Les techniciens préconisent de structurer les équipes, de mutualiser les moyens et d’assurer un suivi fin à l’échelle des 100 hectares pour réagir rapidement aux foyers d’augmentation.
Le plan de chasse départemental impose des minima de prélèvements aux détenteurs de droits, assortis de sanctions financières en cas de non‑respect. Cette contrainte vise à amplifier la pression de chasse sur les secteurs « points noirs » et à juguler la prolifération.
Pour la Fédération des Chasseurs de Dordogne, cette intensification est une responsabilité assumée, mais elle pèse sur des bénévoles qui se disent “accaparés” par la régulation plutôt que par la pratique sportive.
Charges financières et gestion des déchets de venaison
La gestion pratique du prélèvement a un coût : en 2023, 738 tonnes de venaison ont été traitées pour un coût estimé à 227 000 euros. Les collectivités et les chasseurs contribuent au financement de cette logistique.
Par ailleurs, la hausse des indemnisations et des dépenses de protection met sous tension les budgets des fédérations locales. Les organisations comme Dordogne Nature, La Battue du Sud-Ouest et Sanglier Passion suivent ces équilibres avec attention.
Si la chasse reste la réponse prioritaire, la fédération reconnaît que, par endroits, elle sera insuffisante et que le piégeage doit être intégré aux dispositifs de lutte.
Plus de détails sur les impacts agricoles
Simplification administrative et attentes des acteurs
J’ai entendu les responsables plaider pour une simplification des procédures. Un technicien a rappelé que le nombre de jours de chasse autorisés est passé de 60 en 2006 à 365 en 2024 avec autorisation préfectorale, une évolution qui vise à gagner en flexibilité.
La Fédération des Chasseurs de Dordogne propose aussi d’automatiser certaines démarches pour libérer du temps aux équipes. Alban Bernier, coordinateur, évoque la nécessité d’une chasse populaire et accessible, tout en responsabilisant les communes les plus impactées par les dégâts.
Les acteurs locaux — de la Sologne Nature et Chasse à l’Association de Gestion Cynégétique Dordogne — réclament des réponses coordonnées, au croisement des enjeux agricoles, environnementaux et sociaux.
Retrouvez le dossier complet sur l’actualité locale
Quel avenir pour la régulation ? pistes et réalités
Sur le terrain, la tâche reste double : protéger les cultures et contenir la hausse des populations. Les techniques s’empilent — clôtures, répulsifs, piégeage, battues — mais tout repose sur des équipes majoritairement bénévoles. Les structures comme Sud-Ouest Chasse et les collectifs locaux cherchent à construire des réponses durables.
La gestion actuelle illustre un basculement : la chasse assume une mission de service public que l’État a en partie déléguée. Pour les acteurs locaux, l’enjeu est clair : maintenir l’efficacité opérationnelle tout en allégeant la charge humaine et financière qui pèse sur les territoires.