J’ai écouté le brouhaha du hall du ministère des Armées ce jeudi matin : autour de la machine à café, ingénieurs et officiers français pariaient sur le sort du futur avion de combat européen. Difficile de détourner l’attention. Depuis 2017, les gouvernements de Paris et Berlin veulent remplacer le Rafale et l’Eurofighter par un système révolutionnaire baptisé « SCAF » ou « FCAS ». Coût annoncé : plus de 100 milliards d’euros. Mais à quelques heures d’une rencontre sous tension entre Emmanuel Macron et Friedrich Merz à Toulon, le doute grandit. Derrière les promesses politiques, les industriels tirent la couverture à eux : Dassault Aviation, Airbus Defence and Space, Indra, et même Safran attendent tous de prendre la main sur ce projet hors-norme. Et l’Allemagne commence à fatiguer… Est-ce l’ultime round pour le programme phare de la Défense européenne ?
Paris, Berlin et la bataille des chefs autour du SCAF : entre ambitions et méfiances
Ce matin, j’ai croisé Jade, jeune ingénieure chez MBDA. Elle chuchote que l’équipe franco-allemande passe plus de temps à négocier la répartition des tâches qu’à dessiner la carlingue du futur NGF (« Next Generation Fighter »). Selon une note du ministère allemand de la Défense relayée par Reuters, la France demanderait près de 80 % de la direction du projet pour ses entreprises… de quoi braquer la Bundeswehr et ses partenaires.
- Dassault Aviation tient au leadership sur la conception.
- Airbus Defence and Space pousse pour obtenir un droit de regard équitable.
- Indra (Espagne) redoute de finir spectateur dans cette superproduction européenne.
- Safran et MTU Aero Engines croisent les doigts pour garder la main sur la motorisation.
- MBDA et Thales, eux, misent sur la brique technologique (missiles, électronique embarquée).
Un député allemand, Christoph Schmid, a haussé le ton : « Berlin ne doit pas se laisser dicter la conduite par Paris. » Au fond, la confiance s’effrite et, tandis que le président français multiplie les signaux d’ouverture, son homologue allemand attend des actes. Qui, demain, tiendra vraiment le manche ?

Intérêts industriels croisés : la guerre froide version bureaux d’études
Derrière les projecteurs braqués sur les présidents et ministres, ce sont bien les industriels qui mènent la danse. Eric Trappier, patron de Dassault Aviation, l’a martelé hier : « Le Rafale, c’est le meilleur avion européen. Je veux le prouver une seconde fois. » De son côté, Airbus – à l’origine de l’Eurofighter – prévient : hors de question de jouer les seconds rôles.
- Les enjeux ? Propriété intellectuelle, secret industriel, et suprématie stratégique.
- Les craintes : voir l’expertise allemande reléguée au second plan, ou la France trop gourmande.
- L’Espagne, absente de la réunion clé, s’inquiète déjà d’être laissée à quai.
- Les contrats de la future phase : des milliards d’euros pour concevoir un démonstrateur et lancer la « vraie » production d’ici 2040.
Dans les couloirs du siège de Safran, une anecdote circule : lors d’un brainstorming, un ingénieur allemand aurait lancé – « Vous voulez refaire le Rafale en plus cher, c’est ça ? ». Ambiance glaciale…
Autonomie européenne : entre rêve d’indépendance et réalités techniques
Pourquoi tant d’acharnement sur le SCAF ? Parce que sur fond de tensions avec la Russie ou la Chine, aucun pays du Vieux Continent ne veut dépendre à 100 % des F-35 américains ou du GCAP mené par les Anglais, Italiens et Japonais. « C’est une question de souveraineté », résume un conseiller militaire auprès du Ministère des Armées.
- La promesse : un avion de 6ᵉ génération bardé de capteurs et d’armes ultramodernes.
- Un « combat cloud » pour interconnecter Rafale, Eurofighter, drones furtifs et satellites.
- Des industriels clés : Thales pour l’électronique, MBDA pour l’armement, et MTU Aero Engines associé à Safran sur le moteur.
- Un projet qui vise à rester compétitif face à la machine de guerre américaine Lockheed-Martin.
Christian Mölling, expert de renom en sécurité à Berlin, insiste : « Ce n’est pas l’avion le plus révolutionnaire qui fera la différence, mais le logiciel qui synchronise tout le champ de bataille. » Si le SCAF bute encore sur la possession de brevets, c’est ce « Combat Cloud » qui pourrait être l’as du futur.
Des négociations qui patinent : où va le SCAF après Toulon ?
La rencontre de Toulon se déroule sans l’Espagne : l’occasion manquée ? Plusieurs voix dans l’entourage de la Bundeswehr jugent qu’on ne peut pas avancer sans tous les partenaires à la table des négociations. Certains promettent un petit discours commun, mais peu d’avancées concrètes sur la propriété intellectuelle ou la logique industrielle.
- De vieux litiges sur le partage des rôles entre Dassault, Airbus Defence and Space, et Indra.
- Des milliards d’euros à dépenser… mais pas de sécurité sur les retombées et emplois locaux.
- Des doutes au sein de la société civile sur la pertinence d’un méga-projet à l’heure de la transition écologique.
- La menace : l’Espagne pourrait, à terme, revoir sa participation.
De nombreux stratèges s’attendent à ce que Paris et Berlin s’engagent, une énième fois, à « travailler ensemble »… mais la vraie bataille, elle, se livre ailleurs, loin des caméras. Vous pensez qu’un compromis émerge d’ici la prochaine réunion tri-partite ?
Ce qui se joue au-delà des avions : emplois, souveraineté, coopération européenne
Arrêtons-nous un instant sur les effets concrets de ce feuilleton. Prenons Lisa, technicienne chez Thales : elle s’inquiète pour ses collègues. Plus de 10 000 emplois pourraient dépendre du SCAF rien qu’en France. Pour les Allemands, le maintien d’une industrie forte n’est pas négociable non plus – Airbus Defence and Space et MTU Aero Engines y veillent comme sur la prunelle de leurs yeux.
- Création potentielle de milliers de postes qualifiés dans les régions de Bordeaux, Munich et Madrid.
- Innovation « made in Europe » sur les technologies de nuée de drones, intelligence artificielle, cybersécurité.
- Un effet d’entraînement attendu pour les PME sous-traitantes de Safran à MBDA.
- Un symbole politique : l’Europe de la Défense sera-t-elle plus qu’un slogan ? Les prochains mois le diront.
Imaginez, dans 20 ans, nos forces aériennes pilotant main dans la main des escadrilles de drones connectés et des chasseurs de nouvelle génération. Mais aujourd’hui, tout repose sur ce fil tendu entre Paris et Berlin. Qui veut relever le défi ?