Marseille fait fantasmer. Cette cité phocéenne aux mille visages cristallise tous les débats sur l’immigration, l’intégration et la transformation démographique de la France. Une affirmation circule régulièrement dans les médias et les réseaux sociaux : un habitant sur trois serait musulman dans la deuxième ville de France. Cette assertion, répétée comme une évidence, mérite pourtant d’être scrutée à la loupe des faits et des chiffres disponibles.
L’essentiel à retenir
• Population marseillaise : 877 215 habitants selon l’INSEE en 2022, avec une croissance modérée de 0,3% par an
• Estimations musulmanes : entre 200 000 et 300 000 personnes selon les sources, soit 23% à 34% de la population totale
• Sources contradictoires : aucune statistique officielle française ne comptabilise les appartenances religieuses
• Réalité nuancée : la proportion d’un tiers reste une estimation haute, non confirmée par les données disponibles
Les chiffres qui alimentent la polémique
La ville de Marseille compte officiellement 877 215 habitants selon le dernier recensement INSEE de 2022. Pour établir si un habitant sur trois est effectivement musulman, il faudrait donc que la population musulmane avoisine les 292 000 personnes. Les sources disponibles donnent des estimations variables mais concordantes sur un point : Marseille abrite la plus importante communauté musulmane de France.
Selon une étude de l’Open Society Foundation menée entre 2008 et 2011, entre 30% et un tiers de la population marseillaise serait d’origine musulmane. Cette recherche, qui reste l’une des plus citées, suggère donc qu’environ 250 000 à 280 000 personnes seraient concernées. Mais attention : être « d’origine musulmane » ne signifie pas automatiquement pratiquer la religion islamique ou s’en revendiquer.
D’autres sources plus récentes proposent des fourchettes différentes. Certaines estimations évoquent entre 20% et 25% de musulmans vivant actuellement à Marseille, soit environ 175 000 à 215 000 personnes. D’autres sources estiment la population musulmane marseillaise entre 200 000 et 250 000 personnes en 2024-2025.
L’impossible recensement religieux français
La France interdit constitutionnellement tout recensement basé sur l’appartenance religieuse depuis 1978. Cette spécificité hexagonale complique considérablement l’établissement de statistiques fiables sur la démographie religieuse. Les chercheurs doivent donc recourir à des méthodes indirectes : enquêtes par sondage, extrapolations à partir des pays d’origine, ou estimations basées sur les infrastructures religieuses.
L’enquête « Trajectoires et Origines » de l’INED révèle qu’en 2019-2020, 10% de la population française âgée de 18 à 59 ans se déclare musulmane. Mais ces moyennes nationales masquent d’importantes disparités territoriales. Dans les zones urbaines à forte immigration postcoloniale comme Marseille, les proportions sont mécaniquement plus élevées.
Source | Année | Estimation population musulmane | Pourcentage |
---|---|---|---|
Open Society Foundation | 2011 | 250 000 – 280 000 | 30% – 33% |
Sources récentes | 2024-2025 | 200 000 – 250 000 | 23% – 28% |
Autres estimations | 2025 | 175 000 – 215 000 | 20% – 25% |
Journée Mondiale | 2024 | 300 000 | 34% |
L’infrastructure musulmane marseillaise
Un indicateur indirect mais révélateur réside dans le nombre d’infrastructures religieuses. Marseille compte aujourd’hui 71 mosquées et salles de prière, un chiffre impressionnant qui témoigne d’une demande cultuelle importante. À titre de comparaison, la ville ne comptait que 2 mosquées dans les années 1970.
Cette croissance exponentielle – le nombre de lieux de culte musulmans a été multiplié par 35 en un demi-siècle – reflète l’évolution démographique de la cité phocéenne. Cependant, le nombre de mosquées ne permet pas de calculer précisément le nombre de fidèles, certains pratiquants fréquentant plusieurs lieux de culte ou ne pratiquant qu’occasionnellement.
Les quartiers de concentration
La répartition de la population musulmane marseillaise n’est pas homogène sur le territoire. L’étude de l’Open Society Foundation, centrée sur le 3e arrondissement, révèle des disparités importantes. Les arrondissements Nord concentrent traditionnellement les populations d’immigration récente, tandis que les quartiers Sud restent majoritairement peuplés par des populations sans ascendance migratoire.
Cette géographie sociale explique en partie pourquoi certaines zones peuvent donner l’impression d’une présence musulmane majoritaire, alors que d’autres arrondissements présentent des profils démographiques très différents. Le 3e arrondissement étudié affichait déjà en 1999 13,8% d’habitants étrangers, contre 7,6% pour l’ensemble de Marseille.
Immigration et transmission religieuse
L’analyse des flux migratoires vers Marseille éclaire cette question démographique. La ville reste la principale porte d’entrée méditerranéenne, accueillant des populations venues du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient. Mais les données montrent que la transmission religieuse n’est pas automatique entre générations.
Parmi les descendants d’immigrés issus de couples mixtes, seuls 14% se revendiquent de l’islam, contre 48% pour les descendants de deux parents immigrés. Cette érosion intergénérationnelle suggère que les projections démographiques basées uniquement sur l’origine géographique surestiment probablement la population musulmane pratiquante ou déclarée.
Vers une stabilisation démographique
Contrairement aux idées reçues, la croissance démographique marseillaise reste modérée. La ville a gagné seulement 0,3% d’habitants par an entre 2016 et 2022, un rythme qui ne permet pas de confirmer une « explosion » démographique musulmane. La natalité locale, bien qu’importante dans certains quartiers, ne suffit pas à elle seule à transformer radicalement les équilibres religieux.
Les experts notent d’ailleurs une tendance à la désaffiliation religieuse croissante, y compris parmi les populations d’origine musulmane. En France métropolitaine, 51% de la population de 18 à 59 ans déclare ne pas avoir de religion, un pourcentage en augmentation depuis dix ans.
La réalité derrière les chiffres
Alors, un habitant sur trois est-il musulman à Marseille ? Les données disponibles suggèrent que cette assertion constitue plutôt une estimation haute, située dans la fourchette supérieure des projections. La réalité se situe probablement entre 25% et 30% de la population totale, selon les critères retenus (pratiquants déclarés, origine culturelle, ou simple appartenance familiale).
Cette nuance n’enlève rien à la spécificité marseillaise. La ville reste effectivement la cité française où la présence musulmane est la plus visible et la plus structurée, avec ses 71 mosquées, ses commerces halal et ses quartiers à forte densité communautaire. Mais passer de cette réalité sociologique à l’affirmation catégorique d’un tiers de musulmans relève davantage de l’approximation que de la rigueur statistique.
La question mérite donc d’être reformulée : plutôt qu’un tiers exact, Marseille abrite probablement entre un quart et un tiers de sa population ayant des liens, plus ou moins étroits, avec la culture et la religion musulmanes. Cette fourchette, plus prudente, reflète mieux la complexité d’une réalité démographique que les raccourcis chiffrés ne peuvent entièrement saisir.